Faustine Borel

Doctorante en sociologie, Université Jean Monnet, Saint Etienne
Membre de Cellaïc

Introduction

Pour commencer, je voulais remercier Cellaïc et l’association Francis Pache de m’accueillir aujourd’hui et merci à vous d’être présent.

L’étude de la mort permet de comprendre les épaisseurs culturelles d’une société. La sociologie se propose alors d’étudier les rapports que les humains entretiennent avec la mort. L’évènement de la mort provoque un désordre social. Ainsi il faut l’encadrer, la ritualiser pour transformer ce désordre en une nouvelle organisation.

Aujourd’hui, je vous propose de séparer mon propos en deux parties : une première sur l’évolution des pratiques autour de la mort depuis les années 1980 et une seconde, sur les funérailles civiles. Pour cela, je vais m’appuyer sur des recherches que j’ai menées dans le cadre de mes études.

La révolution des pratiques autour de la mort et du mourir

Cette partie, qui n’a pas prétention à être exhaustive, va nous permettre d’avoir une vision rapide et d’ensemble des évolutions funéraires.

Recul et disparition de certaines pratiques

Les  funérailles d’antan paraissent bien différentes de celles d’aujourd’hui. De nombreuses pratiques sont considérées de nos jours comme désuètes. Il y a principalement deux dimensions qu’on ne retrouve plus aujourd’hui dans les cérémonies : le côté majestueux de la « grande pompe » et le caractère communautaire. Je m’explique.

D’abord pour la « grande pompe » : ce terme est avant tout relier à la dimension catholique. Il recouvre l’ensemble de l’apparat, du décorum (les fleurs, le cortège…). Tout était vu en grand pour les cérémonies. Aujourd’hui, les cortèges du domicile à l’Eglise puis de l’Eglise au cimetière n’existe quasiment plus (urbanisation). Il en est de même pour l’exposition du corps à domicile, avec le défilé des proches.

En ce qui concerne le côté public, communautaire, il est vrai qu’auparavant les funérailles concernaient la société dans son ensemble. La traversée du village permettait de réunir toute la population et de créer une communauté endeuillés qui s’associait au deuil. Aujourd’hui, la cérémonie et le deuil se vivent d’avantage dans l’intimité, mais nous aborderons cette question plus tard dans l’exposé.

Les pratiques du port du deuil ont également disparut : habits noirs pendant un an, puis violet, brassard noir (sauf pour les rencontres sportives). La disparition ou en tout cas le fort recul de ces pratiques ont impliqué l’apparition et le développement de nouvelles pratiques.

L’apparition des soins palliatifs

Année 1970, seconde vague d’étude de la où on s’intéresse au « mourir » avec deux aspects : la mise en évidence de la condition du mourant et l’accompagnement de la fin de vie. Il y a le constat d’une mauvaise prise en charge des personnes en fin de vie => prise de conscience et choses misent en place (soin palliatif). Avant, les travaux sociologiques et anthropologiques étudiaient d’avantage les rituels et les espace funéraires tels que les cimetières. A partir de cette période (70-80) la fin de vie, le mourir deviennent un terrain central.

  • La naissance du « bien mourir » (E Kübler-Ross)

Kubler-Ross (On death and dying) est une psychiatre qui s’intéresse et dénonce les conditions de vie des mourants à la fin des années 1960. Elle va décrire les différentes « étapes » parcouru par un patient en fin de vie. Elle identifie 5 étapes après l’annonce d’un décès inéluctable : 1. La négation et l’isolement 2. La colère 3. Le marchandage 4. La dépression 5. La réconciliation (le consentement à mourir).

  • On voit ici que c’est donc l’acceptation de sa propre mort qui est recherchée.

Elle aborde la question d’un renouveau du dialogue entre l’équipe médicale, soignante et le mourant. Ce dernier seraient alors amené à exprimer ses craintes, ses doutes ; Cependant, en psychologisant ainsi la fin de vie, Kubler Ross fait apparaitre une catégorie qui serait universelle (M. Castra nommera « naturalisation des besoins ») : La mort apaisée, en paix, devient alors un idéal restrictif. En considérant que la fin de vie est une expérience individuelle et universelle, Kubler Ross évince les données sociales (tels que le contexte, la biographie du patient, son âge, le type de pathologie…)

  • Les soins palliatifs (Castra)

La naissance des soins palliatifs en France dans le milieu des années 1980 montre un bouleversement des pratiques et n’a pas toujours fait l’unanimité. C’est au début des années 1980 que les premiers médecins s’élèvent contre la condition des mourants en milieu hospitalier. Il y a dans un premier temps, eu une mobilisation collective qui a ensuite été prolongée par une réponse des pouvoirs publics : on passe de revendications sociales et professionnelles au domaine de l’action publique (textes de lois, code de déontologie…)

On se trouve ici confronté à une réorganisation de la prise en charge des mourants puisque l’on tente de lutter contre la douleur physique, mais aussi psychique. Cependant, la médecine occidentale étant, avant tout, « curative », les objectifs des soins palliatifs posent un problème de légitimité puisqu’ils ne correspondent pas au dessein médical habituel. Les défenseurs des soins palliatifs demandent les choses suivantes :

  • Il y a alors volonté d’une nouvelle prise en charge du patient et une nouvelle conception professionnelle => Deux options sont alors possibles, celle d’une séparation entre la prise en charge médicale et des solutions palliatives et celle d’une reconfiguration de l’ensemble des rôles et des statuts (du médecin, du patient et de sa famille).
  • Prise en considération de l’expérience subjective des patients par rapport à la maladie : Les soins palliatifs prennent en charge le patient de façon globale et non plus uniquement à travers la maladie et les signes extérieurs.

Là encore, comme dans ce que disant Kübler-Ross, on voit apparaitre l’idéal d’une mort apaisée et acceptée, l’idée de « bonne mort ». Cette idée de « bonne mort » est très normative. Le mourant SE DOIT de mourir dans la dignité.

Autres transformations depuis les années 1980 : soin de thanatopraxies (mort reposée, bien mourir), contrat obsèques, crémation. => Les transformations sont aussi bien pragmatiques que du point de vue des valeurs

Vers une laïcisation des funérailles : quels enjeux ?

Contexte

  • Une brèche de laïcité dans le milieu funéraire (rappel des principales lois)

Il n’est pas question ici de faire l’état complet d’une législation dense et complexe de la mort, mais nous allons tenter de saisir les enjeux présents, ainsi que l’impact des lois sur les consciences et inversement. Ces enjeux se trouvent à la croisée entre un monopole de l’Eglise, de longue date, et une volonté de neutralité dans les cimetières ainsi que d’une liberté de conscience.

Il faut noter que la Révolution Française représente un moment de bouleversement important dans la législation funéraire française puisque les biens ecclésiastiques deviennent la propriété de la nation.

En 1804 la France passe d’une gérance religieuse à une responsabilité communale. Les cimetières sont à présent laïques et les cimetières paroissiaux voient leurs usages diminuer voire disparaître. Cependant, l’Eglise garde une place importante dans la pratique.

Le 14 novembre 1881 = une neutralité des cimetières, tout en laissant à l’Eglise le monopole de l’organisation des obsèques. Ainsi, à partir de cette date, la création ou l’extension de carrés confessionnels est contraire à la loi. Cette loi nous semble être un des piliers explicatifs d’une possible laïcisation des funérailles d’aujourd’hui car elle va également mettre fin à des pratiques telles que l’exhumation des corps des non baptisés et des libres penseurs. Il est désormais interdit d’établir toute séparation entre les sépultures pour des raisons de cultes ou d’idéologie.

Le 15 novembre 1887 marque donc une étape importante puisqu’une loi entérine la liberté des funérailles. C’est à partir de ce moment que les individus pourront choisir entre une cérémonie laïque ou religieuse, un enterrement ou une crémation.

La loi du 9 décembre 1905 va opérer une séparation entre l’Eglise et l’Etat, ce qui permettra d’assurer l’égalité entre les citoyens quelle que soit leur (non) conviction religieuse. Le cimetière doit être un lieu neutre, aussi toutes distinctions religieuses sont normalement interdites si elles dépassent les limites des sépultures. La création de cimetières confessionnels est donc prohibée (hormis les cas particulier de l’Alsace-Moselle et du cimetière de Bobigny). Aucune séparation matérielle ne peut être acceptée, en raison du principe d’égalité de traitement, quelles que soient la religion ou les idées politiques.

Alors que depuis la fin du 19ème siècle, le principe est celui de la neutralité des cimetières, le législateur va de nouveau, depuis une dizaine d’années, se repencher sur cette question de la neutralité en s’intéressant aux demandes soulevées par les différents cultes. Les gouvernements vont donc user de moyens juridiques afin de permettre un détournement de la loi et entériner la construction de carrés confessionnels. Des circulaires vont donc être transmises aux mairies : le Ministre de l’Intérieur recommande, via des circulaires, de créer des « carrés confessionnels » dans les cimetières communaux afin de répondre aux demandes des familles. Là encore, la famille est mise au premier plan. Ainsi, aujourd’hui, des arrangements permettent de créer des carrés confessionnels, sans qu’aucune loi ne vienne remettre en cause la neutralité des lieux.

Ainsi, nous pouvons voir que la place de la religion et de la laïcité dans le milieu funéraire a été marquée par diverses lois, qui se sont faites par étapes en s’étalant sur plus d’un siècle. Si depuis 1881 les cimetières sont des lieux laïques, le développement des funérailles laïques doit attendre encore près d’un siècle ; nous allons y revenir.

  • Vers des obsèques sans religion ?

Cette question sera traitée ici de façon quantitative avec un compte rendu et une analyse d’une enquête réalisée en 2008 et 2013 par les Pompes Funèbres Générales. Cette étude repose sur les statistiques de 8000 convois funéraires. Les auteurs de ce travail ont souhaité mettre en évidence d’abord l’évolution des pratiques en comparant les chiffres de 2008 et de 2013, et ensuite les disparités régionales existantes.

Il est intéressant de constater la répartition des convois funéraires civils et religieux en 2008 et en 2013 par région ainsi qu’au niveau national :

  Les tableaux ci-dessus montrent que les convois religieux représentent encore plus des deux tiers de l’ensemble des convois. Cependant, en l’espace de cinq ans, les obsèques civiles ont augmenté de 5%, ce qui représente une évolution rapide dans le temps. L’Ile de France est la région où le taux de services civils est le plus élevé avec 35% en 2008 et 37% en 2013. Il est possible de formuler deux hypothèses explicatives de ce phénomène : d’abord le manque de place dans les Eglises des grandes villes comme Paris, et ensuite le fait que c’est dans cette région que se concentre le plus grand nombre de crématoriums (conf carte annexe). Or, cérémonie civile et crémation sont deux indicateurs en lien.

Nous pouvons également constater qu’en 2008, l’est de la France a le taux de service civil le plus bas alors même qu’il existe de nombreux crématoriums, notamment en Alsace-Lorraine. L’explication peut se trouver dans la religion, puisqu’en effet, l’Est de la France reste très pratiquant et très croyant (Enquête CSA, 2013, « Le catholicisme en France »). Ainsi, bien que l’Eglise accepte la crémation, les pratiquants se dirigent davantage vers l’inhumation.

Analyse des enjeux

  • Qui prend en charge les obsèques civiles aujourd’hui ? (enjeux politiques)

Dans la prise en charge des cérémonials laïques, de nombreux acteurs entrent en jeu. Les familles cherchent de nouvelles formes d’hommage qui ont un sens : « en quête de sens, les français souhaitent aujourd’hui des cérémonies civiles mais avec une dimension spirituelle, simples, mais aussi très investies et très préparées, pleines d’émotion et d’espoir » (Burtscher,

2008 : 60). Qui sont ces personnes qui permettent de donner du sens et de construire un moment pour accompagner le défunt ? Un grand nombre de questions se posent : Quelles sont les nouvelles modalités de ces funérailles ? A l’initiative de qui ces nouveaux cérémoniaux sont mis en place ?

Nous avons identifié plusieurs acteurs : 1/ les associations aidant les familles à organiser les cérémonials. Elles sont peu nombreuses en France, et qu’elles militent pour un accompagnement des mourants (JALMALV) ou pour une prise en charge de la mort, elles se complètent. 2/ les professionnels (opérateurs funéraires, professionnels soignants). Avant même le décès, avec les personnels soignants, des agirs rituels se construisent déjà. Après le décès, les professionnels du funéraire prennent le relais en accueillant les familles. 3/ les endeuillés. Nous faisons ici l’hypothèse que la famille et les groupes de pairs du défunt occupent une place centrale. 4/ les municipalités.

Les gens se trouvent souvent démunis, ce qui explique pourquoi ils font appel à des associations. Problèmes dans les villes où il n’y a pas d’association.

Il existe des enjeux politiques forts (nombreuses lois, dépôt d’une nouvelle proposition de loi en décembre 2014). L’Etat est très présent en France, et a beaucoup légiféré dans le domaine funéraire ces 10 dernières années ; or, les transformations se jouent à un niveau intermédiaire : pompe funèbre, familles, associations.

  • La laïcisation est-elle un facteur de déritualisation et de désocialisation?

Pour comprendre en quoi la laïcisation des funérailles peut changer le sens social de la mort, notamment en ce qui concerne la place du rite et le rapport des individus au mortuaire, on peut s’appuyer sur les travaux de Louis-Vincent Thomas, et sur les critiques qui en sont proposées.
Dans son ouvrage Les rites de mort, ce dernier propose en effet l’idée que notre société connaît à la fois une déritualisation de la mort, et une désocialisation de cette dernière.

La déritualisation de la mort serait due à quatre éléments principaux:

  • notre rapport à la finitude serait différent du fait des avancées médicales et techniques qui créent un imaginaire d’immortalité,
  • l’urbanisation ne permet plus d’effectuer les rituels traditionnels, comme par exemple la veillée funéraire au domicile, étant donné que les habitations sont plus petites,
  • la monté de l’individualisme va de pair avec l’anonymat,
  • la société marchande ne prend pas en considération la ritualité traditionnelle, mais en fait une ritualité commerciale.

Pour L-V Thomas, les cérémonies laïques ne se composent donc plus de rituels. La laïcisation est synonyme de désacralisation, ce qui implique que les métiers qui entourent la mort sortent du cadre religieux. Ensuite, il explique également que « la laïcisation, dans la mesure où elle rejette la symbolique religieuse dont il faut reconnaître la richesse, risque d’appauvrir le sens du rituel funéraire » (Thomas, 1985 : 97). Or, certaines analyses trouvent excessif de conclure à une déritualisation de la mort en général. Les pratiques autour du deuil tendent effectivement à disparaître, mais quid des cérémonies ? Certains considèrent que les funérailles contemporaines ne se constituent plus des « rites » à proprement parler, tandis que d’autres revendiquent l’idée d’un renouvellement rituel. Afin de dépasser ce débat, Jean-Hugues Déchaux propose de s’intéresser à une socialisation de la mort, c’est-à-dire au « processus dynamique d’interactions et d’actions réciproques qui s’établissent entre les individus à l’occasion de la mort » (Déchaux, 2004 : 25).

De notre point de vue, il existe aujourd’hui une « néo-ritualité », ou en tout cas, de nouveaux cérémoniaux misent en place.

Cela nous amène à revenir à la deuxième partie de la thèse de Louis-Vincent Thomas.

Une désocialisation de la mort ?

En effet, d’après L-V Thomas, il n’y aurait plus de prise en charge collective, intégrant l’ensemble de la communauté, voire de la société. Suivant cette idée, la famille aurait tendance à occulter la mort en escamotant le mort. Cette thèse du déni implique qu’il existerait des sociétés qui accepteraient la mort en la considérant comme « naturelle », et que la nôtre, en la mettant à distance, serait malade. Ainsi, les rituels entourant les décès tendraient à disparaître dans nos sociétés du fait d’un « individualisme familial » grandissant. Louis Vincent-Thomas explique que le rituel est indispensable pour rompre avec le défunt afin de contrôler l’angoisse et l’incertitude (Clavandier, 2009 : 85).

Le recul de la religion serait-il alors synonyme de désocialisation de la mort ?

Cette thèse d’un déni et d’une désocialisation de la mort élaborée dans les années 1970 et 1980 est fortement discutée et nuancée. Ne reposerait-elle pas sur une confusion entre désocialisation et privatisation de la mort ? C’est dans cette perspective que J-H Déchaux conceptualise le phénomène en parlant d’intimisation. Il n’est pas en effet possible de contester le fait que les liens familiaux se sont transformés durant ces trente dernières années (baisse des mariages, familles monoparentales, recomposées…), cependant, grâce à une grande plasticité, la famille a pu s’adapter et demeurer. Les liens familiaux n’ont en aucun cas disparu et ne sont pas uniquement du côté de l’autonomie individuelle, ils se sont redéfinis. Les sociétés contemporaines « connaissent une évolution aboutissant à une mort affectant plutôt le groupe de proches de la personne décédée que la société dans son ensemble » (Julier Costes, 2011 : 147). Ainsi, « le sens que nos contemporains attribuent à la mort est à rechercher dans leur intimité » (ibid. : 148). En conséquence, la prise en charge rituelle de la mort se fait davantage à une échelle individuelle.

J-H Déchaux met au jour un processus, une évolution. La mort ne serait donc pas plus, ni moins ritualisée et socialisée qu’avant, mais plutôt appréhendée différemment, vécue plus intimement, et impliquant « une autre forme du lien social, fondée sur l’affinité » (Déchaux, 2001 : 171). Plus précisément, c’est au sein de « relations interpersonnelles » que s’effectue le protocole rituel.

  • Questions de la personnalisation (entre personnalisation et tradition religieuse, gestuelle, matérialité…)

A partir de 1963, l’Eglise autorise la crémation à la condition qu’elle ne soit pas choisie dans l’objectif de contredire la foi chrétienne. Effectivement, la crémation était, pour les anticléricaux, une façon de refuser l’idée d’une réincarnation et de montrer leur désaccord avec la religion ; c’est cela que l’Eglise condamne. En 1972, le Concile du Vatican II porte une attention particulière à la mort et aux funérailles. L’idée d’une personnalisation commence à poindre. D’abord, les messes ne sont plus dites en latin, mais en français, et l’assemblée est invitée à participer à la célébration. Les discours prononcés par les prêtres ne relèvent plus d’un champ lexical appartenant à l’enfer, au jugement ou à la peur, mais vont être d’avantage centrés sur l’espérance d’un au-delà et sur l’apaisement de la douleur.

Les endeuillés sont alors invités à participer, à prendre part à l’hommage. A la fin des années 1990, les laïcs occupent une place de plus en plus grande du fait de la population vieillissante chez les prêtres. Les funérailles n’étant pas considérées comme un sacrement, la présence d’un prêtre n’est pas indispensable, et n’importe quel fidèle baptisé peut devenir célébrant.

En revanche, si l’Eglise est plus flexible qu’auparavant et laisse un espace de personnalisation, aussi infime soit-il, l’innovation ne doit pas sortir d’un cadre fixé par l’autorité religieuse puisque « le célébrant donne forme à la cérémonie à travers un schéma religieux qui reste codifié, mais non rigide. Il offre une liberté guidée aux acteurs » (Fellous, 2001 : 203)

La personnalisation des funérailles est donc aujourd’hui possible, du fait d’une laïcisation de la société, d’une ouverture de la part de l’Eglise. Florence Vandendorpe, qui a travaillé sur les obsèques en Belgique, explique pourtant que les possibilités de personnalisation ne sont pas saisies par les familles, et que les cérémonies se ressemblent toutes. Il nous semble cependant important de rappeler que si infime soit la personnalisation, elle est tout de même présente, par l’introduction de textes, de poèmes, de musiques ou de témoignages, au détriment des textes liturgiques.

Les cérémonials, quels qu’ils soient, passent par une matérialisation. La mise en scène d’objets et la présence d’un décor particulier font partis, à part entière, du cérémonial. Quels types d’objets sont présents, et à l’initiative de qui ?

Les cercueils

Le cercueil, s’il ne peut pas être défini comme un objet, car il contient un « corps humain », représente tout de même une matérialité. Il est présent de façon systématique (sauf rare cas où le corps n’a pas été retrouvé).

Il est très fréquent, en cas de cérémonie non religieuse, de voir un cercueil orné de Jésus crucifié.

C’est le cas pour près de deux tiers des cercueils. Souvent, les familles l’expliquent par le fait que si le défunt n’était pas croyant et ne souhaitait pas passer par l’Eglise, ses proches le sont et ont voulu marquer leur propre appartenance à travers cette croix sur le cercueil.

Il faut également préciser que les cercueils font rarement l’objet de personnalisation. Ce n’est pas par le biais de cette matérialité qu’une cérémonie se distingue d’une autre. La qualité du bois et la précision des décorations font une différence de prix et permettent aux familles les plus aisées de se démarquer des plus modestes, mais ces différences sont minimes.

Le cercueil, constitue donc la matérialité centrale, l’élément vers lequel tout le monde est tourné, quel que soit le type de cérémonie. C’est autour de lui que va s’organiser l’ensemble des cérémoniaux et de la disposition des objets. Il constitue la base de la matérialité. Une base simple sur laquelle va ensuite s’établir une personnalisation à travers les objets.

Les objets

Jean-Hugues Déchaux a abordé, dans son ouvrage sur le souvenir des morts (Déchaux, 1997), la question des objets. Il donne à voir la façon dont les objets font mémoire, rappellent le défunt, mais il aborde ce sujet sous l’angle du souvenir à long terme. Ici, nous analyserons la place et le rôle des objets au moment de la célébration. Les familles, soit d’elles-mêmes (pour plus de deux tiers d’entre elles), soit suite à la suggestion d’un bénévole, apportent des objets le jour de la cérémonie. Ces objets sont très variables, allant de la simple photo aux palmes de plongée, en passant par la marmite.

Dans la plupart des cas, les proches amènent une seule photo, encadrée, sur laquelle le défunt est représenté souriant. D’autres fois, c’est un patchwork de photos sur une grande pancarte. Ces patchworks permettent d’introduire une dimension collective, de la même façon que les patchworks des noms pour les personnes décédées du sida ont créé une communauté (Broqua, Loux, Prado, 1998). Ici, les photos représentent le défunt avec ses proches, ses enfants, ses petits-enfants ou toute autre personne avec qui la personne avait des relations intimes fortes. De fait, une cohésion se crée entre les personnes présentes, car les photos témoignent d’une relation commune.

Cependant, contrairement aux patchworks des noms pour les morts du sida, l’objectif n’est pas de rassembler des défunts autour d’une cause ou d’avoir une dimension revendicative (reconnaissance de l’homosexualité), mais bien de rassembler des vivants autour d’un seul mort. Pour les patchworks de photos, c’est l’association de ces photos, avec l’énonciation des noms des proches qui va créer une unité entre les endeuillés.

Ceci permet de créer une « communauté » d’endeuillés, qui partage la même douleur, la même épreuve. C’est aussi une façon de se sentir moins seul face à l’épreuve que constitue la perte d’un proche. Outre les photos, d’autres objets sont présents. Ce sont des « objets biographiques », c’est-à-dire qu’ils ont appartenu au défunt, ils représentent ce qu’il était, ce qu’il aimait faire.

Ces objets ont pour but de « servir de médiation entre le mort et le vivant » (Déchaux, 1997 :

183), ou plutôt les vivants. La disposition de ces objets correspond à un cadre « d’activation de la mémoire » (Déchaux, 1997 : 179) puisque les lieux et les objets « dessinent des espaces qui concentrent des souvenirs et au travers desquels la mémoire se donne à lire » (Déchaux, 1997 : 178).

« L’objet va permettre de surmonter la contradiction soulevée par Lévi-Strauss, entre le temps révolu, brisé par la mort, et le temps présent d’où peut resurgir le passé » (Déchaux, 1997 : 183). Dans le contexte des funérailles, ces deux temps se chevauchent, s’entremêlent, sont inextricables. La mort est déjà arrivée, mais elle est très récente, et constitue encore un temps présent duquel peut déjà réapparaître du passé. C’est un moment d’entre-deux, pas encore du côté du passé, mais qui fait pourtant éclore la dimension d’un temps révolu : avant le décès.

Un objet singulier et personnel (appartenant au défunt) devient, durant le temps de la célébration, collectif, et représente le côté vivant du défunt, cad, ce qu’il était avant de décéder.

Ainsi, « l’objet est habité d’une présence » (Déchaux 1997 : 186). C’est une façon d’intégrer le défunt à la cérémonie. Ces objets-là ont une dimension symbolique émotionnelle pour les endeuillés et une dimension identitaire pour le défunt. Expliquons-nous par des exemples. Un homme d’une cinquantaine d’années met fin à ses jours en plongeant dans la Saône, lesté par des briques. Comme il était passionné de plongée, sa femme a demandé à ce que les palmes, le masque et le tuba qui lui servaient pour ses plongées soient déposés sur le cercueil. Ces objets représentent une partie de l’identité du défunt et sont symboliques pour la famille. C’est une façon de rendre hommage. Cependant, cette magie de l’objet suppose d’avoir connu la personne, pour associer l’objet à des actes ou des moments vécus avec elle »

(Déchaux, 1997 : 186).

Les objets en disent aussi beaucoup sur les liens entre les générations. Les objets choisis par les enfants, les petits-enfants ou les parents du défunt ne sont pas les mêmes.

Cette partie nous a permis de montrer la matérialité d’une cérémonie. Une célébration ne se limite pas à des paroles, mais comprend aussi bien des cérémoniaux non-verbaux, des mots qu’il faut choisir avec précision, un décor et des objets. L’invitation des objets personnels, appartenant au défunt, est quelque chose de nouveau dans les cérémonies, un élément de personnalisation qui n’était pas possible au sein des églises.

  • Participation des familles (Ehrenberg)

Les transformations qui entourent la mort concernent aussi la participation des proches. « Au fil des années, l’investissement de la famille va changer tant dans le fond que dans la forme » (Hardy, 2011 : 68). Auparavant les proches du défunt n’avaient aucun rôle précis dans le cérémonial ; leur présence se suffisait à elle-même. Dans les cérémonies que nous avons observées, les familles se doivent de prendre part, dans la mesure du possible au cérémonial.

  1. Dubois, attachée de Communication au Groupe Pompes Funèbres Générales écrit que « pour le temps des obsèques, les familles confrontées à l’obligation, l’urgence et l’inconnu de la mort attendent un guide, un mentor, dans un univers angoissant. » (Dubois, in Déchaux, Hanus, Jesu, 1998 : 62). Or, cette remarque est à nuancer ; les bénévoles ne se posent pas en « mentors », mais bien comme accompagnants, ce qui entraîne des actions différentes. Dans le premier cas, la personne décide et agit, dans le second cas, elle aide les personnes à agir. « Ainsi, au lieu de s’effacer derrière une célébration funéraire livrée « clés en main », la famille endeuillée s’octroie un rôle d’acteur » (Rouault, in Déchaux, Hanus, Jésu, 1998 : 222). Cette participation est plus ou moins forte en fonction des familles et de leur capital culturel. Or, souvent, les familles à faible capital culturel ont plus de difficulté à s’exprimer en public, à mettre en mots leurs sentiments, etc. ce qui compromet leur participation.
  2. Hardy (2011 : 68) explique que la participation des familles reste assez relative et compliquée pour beaucoup d’entre elles, qui n’ont pas forcément les capacités émotionnelles à lire des textes. Mais, comme nous le disions, ceci ne relève pas que du registre de l’émotion, mais également de capacités linguistiques, de contrôle de l’émotion, d’expression… => social

La famille se doit de construire un récit cohérent, qui répond aux attentes des associations. Pour cela, les familles ayant un fort capital culturel procèdent à de l’individuation, certains membres se démarquent des autres, ils veulent marquer le caractère unique de leur existence individuelle ou familiale. Le récit est à la croisée de la situation actuelle avec les expériences passées. De fait, retracer le chemin de vie d’une personne permet aux endeuillés de recréer un groupe autour d’une individualité.

Une personne ne se raconte pas de la même manière suivant les contextes, ainsi, il arrive que des « discours convenus » émergent pour coïncider avec les attentes d’une institution. C’est ce que l’on peut retrouver chez certaines familles à faible capital culturel qui tentent, par divers moyens de se rapprocher des exigences des bénévoles : imitation, nombreuses questions… Cependant, la transformation de l’expérience en récit d’expérience n’est pas chose facile et demande de savoir organiser sa pensée d’une certaine manière. Ceci complique donc la participation des familles les moins dotées en capitaux culturels.

  1. Ehrenberg réalise une analyse de la société et de l’individu contemporain en termes d’entreprenariat, d’autonomie, d’individu incertain. Il considère que la société est passée de la discipline – au sens Foucaldien – à l’injonction de se produire soi-même. Pour lui, nous passons d’une société de discipline à une société de contrôle. L’autonomie serait, pour A. Ehrenberg, le socle de nos sociétés et l’individu doit disposer des conditions de son indépendance. Il se gouverne lui-même et devient donc responsable de ses échecs. L’individu se trouve alors pris dans un processus où l’injonction à l’autonomie lui impose une pression de réussite. Tout ceci va créer un culte de la performance où l’individu doit décider et agir plus qu’obéir. pondre à la théorie d’A. Ehrenberg. La société demande aux individus d’acquérir des capacités telles que l’autonomie et l’initiative individuelle. L’individu se trouve alors pris dans l’expérience de l’incertitude puisqu’il doit lui-même se construire son identité et doit pour cela disposer de repères qui lui permettent de prendre des décisions. Sans ces dispositions, l’individu se trouve confronté à une impuissance à agir et à une souffrance psychique forte ; c’est ce qu’A. Ehrenberg nomme « la fatigue d’être soi ». Ce processus « s’inscrit dans une ‘affirmation de soi’ très valorisée dans notre société » (Hardy, 2011 : 69). En effet, les proches du défunt doivent accomplir une réalisation de soi en s’appuyant sur les propositions des bénévoles.

Cet exposé non exhaustif de la thèse d’A. Ehrenberg nous permet cependant de saisir les principaux axes de sa réflexion et d’en apporter une critique. Ce que nous avons observé sur le terrain, nous permet de montrer que l’injonction à se réaliser reste imbriquée dans un cadre disciplinaire. Les familles ne sont pas livrées à elles-mêmes avec le devoir de réaliser seules la célébration. Bien au contraire, elles sont toujours soumises à un contrôle, un encadrement. Les bénévoles permettent aux familles de participer à et de réaliser « leur » cérémonie. De plus, l’injonction à participer est très différente selon les associations. Cellaïc souhaite que la famille prenne le plus possible la célébration en charge. Pour eux, une célébration réussie, est une célébration dans laquelle ils n’interviennent pas. Leur idéal est d’aider les familles à construire la cérémonie, de les guider sur le dérouler, puis de les laisser « en autonomie » le jour des funérailles. De fait, ils se rapprochent, dans leur discours de ce que souligne A. Ehrenberg.

Dans d’autres associations observées, l’autonomie complète des familles n’est pas un objectif. Bien au contraire. Ici, l’autonomie des endeuillés n’est pas l’objectif. Ils désirent, à l’inverse, être en face de familles qui participent, tout en étant « dépendantes » de l’avis et du savoir des bénévoles.

Conclusion :

Une évolution des pratiques par la personnalisation

 

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