Conférence d’Henri Pena-Ruiz Henri Pena-Ruiz
Dernier ouvrage paru : Dictionnaire amoureux de la laïcité (Editions Plon) PRÉSENTATION DE LA CONFÉRENCE
Le libre choix de son style de vie, et de sa façon de mourir, relève d’une philosophie radicale de la liberté. Dans le prolongement de la liberté de conscience qui permet de choisir sans entrave ses conceptions spirituelles et le modèle d’accomplissement qui en découle, l’égalité de droits et la fondation de la puissance publique sur le souci du bien commun forment un triptyque de principes qui définit la laïcité.
Celle-ci n’est pas seulement une sécularisation, définie comme transfert à l’autorité civile, inscrite dans le siècle, des régulations assumées jadis par les institutions religieuses, porteuses de règles (« régulières » par différence avec « séculières »). Elle est aussi et surtout une émancipation, c’est-à-dire une sortie de la dépendance (ex-mancipium, en latin: affranchissement par rapport au domaine que le père de famille –pater familias tenait sous sa main: manus-capio). Or longtemps l’autorité cléricale a tenu sous sa main l’instruction, l’éducation, le conditionnement éthique et idéologique des consciences et des corps, et les modes d’accomplissement des personnes. Ainsi elle a sacralisé le patriarcat, la domination de l’homme sur la femme, l’assignation de la sexualité à la seule procréation.
L’émancipation laïque n’a nullement voulu détruire la religion, mais a simplement affranchi les institutions communes de la tutelle religieuse, en découplant la loi civile et la foi religieuse. Ce faisant, elle a engagé des émancipations sociétales décisives, notamment pour les femmes, jadis obligées de cacher leur corps (cf. Tartuffe: « couvrez ce sein que je ne saurais voir… »). Elle a également remis en cause la domination machiste. La notion de « chef de famille » n’a pas été seulement «sécularisée ». À terme, elle a été brisée dès que le processus de laïcisation a pu parachever le découplage entre loi civile et loi religieuse (en France, la notion de chef de famille a ainsi disparu du livret de mariage en 1983).
Émancipation juridique et politique, sociale et sociétale, la laïcisation continue à se heurter aux préjugés du patriarcat traditionnel, comme à la soif de restaurer les privilèges perdus par les Églises. Le lobbying intense du Vatican pour faire reconnaître à l’Europe des « racines chrétiennes » en témoigne. Pourquoi ne pas mentionner aussi les racines philosophiques de l’antiquité gréco-latine, de l’humanisme de la Renaissance, du rationalisme des Lumières, de la pensée sociale du dix-neuvième siècle ? S’il faut annexer un livre d’histoire aux textes de référence de l’Europe, pourquoi ne posséderait-il qu’un seul chapitre? Ce lobbying religieux se fait particulièrement pressant sur les questions sociétales, notamment l’interruption volontaire de grossesse, la conception du mariage, le rejet de l’acharnement thérapeutique, et le droit de mourir dans la dignité.
Dans un état de droit respectueux des libertés individuelles la loi commune n’a pas à prescrire un mode de vie particulier, mais simplement à proscrire ce qui porterait atteinte à la conciliation des libertés. C’est dire qu’il promeut la libre disposition de soi dans les seules limites indiquées. Sur le plan éthique et juridique, cela signifie que l’on peut faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. C’est à un tel niveau que se situe en dernière instance l’émancipation laïque. Une éthique de la vie comme dignité et maîtrise s’y articule au respect de la sphère privée. Choisir sa vie, choisir sa mort : toutes les émancipations sociétales sont impliquées dans cette double devise comme dans l’émancipation laïque de la loi commune.
Le but de la conférence est de construire l’argumentaire qui fonde ces émancipations, puis de le spécifier en ce qui concerne le droit de mourir dans la dignité en choisissant sa mort et ses modalités selon un libre arbitre étayé sur la maîtrise de soi, assortie d’une philosophie de la vie libre. Les Stoïciens relayés par Montaigne indiquaient que d’une certaine façon philosopher c’est apprendre à mourir. S’agit-il seulement d’apprivoiser l’idée de la mort et les processus du vieillissement qui y conduisent ? Peut-être faut-il aller au-delà, vers une philosophie de la conduite existentielle qui prend acte des processus biologiques non pour s’en lamenter, mais pour tenter de les vivre sans s’absorber en eux. Et en faire aussi bon usage que possible, à l’instar de la résolution de Pascal, décidé à faire un « bon usage des maladies », lui qui fut accablé de souffrances toute se vie en raison d’une santé très fragile. La réflexion intègrera également une approche de la possibilité d’un cérémonial laïque des obsèques, dans l’esprit d’une adéquation des rites symboliques avec la conception spirituelle et philosophique qui guide la vie de chacun.